Fini l'équipe de France, les championnats du monde, les jeux olympiques et la carrière de sportive
de haut niveau, Lila Meesseman-Bakir est devenue artiste. « Le rêve » au Wynn Las Vegas est, en
effet, le spectacle dans lequel elle a un rôle artistique de nageuse synchronisée.
Interview : sa nouvelle vie, les enseignements de son nouveau « métier » et bien sûr la synchro !
L’année dernière j’avais un mal de dos intense et récurrent que nous n’arrivions pas à soigner
avec des anti-inflammatoires, des infiltrations, du repos et un corset. La seule issue aurait été une
opération que j’ai refusée. Mon corps avait assez souffert, il m’avait permis de réaliser ce qu’il y a
de plus beau dans la carrière de tout athlète, les Jeux Olympiques, il était donc temps que je prenne
soin de moi et le temps de me soigner correctement.
J’ai donc décidé de mettre un terme à ma carrière en février 2010.
Suite à cela, la compagnie de Franco Dragonne m’a contacté, ils cherchaient une nat’ synchro pour
évoluer dans le spectacle « Le Rêve » à Las Vegas.
C’est un rêve de gamine ! A Montauban, ma ville natale et mon club initial, Benoit Beaufils nous
faisait des démonstrations et nous parlait de son magnifique job à Vegas. Il y est depuis 12 ans,
d’abord à « O » et maintenant au « Rêve ».
Ici, je connaissais aussi Ludivine Perrin, une ancienne nageuse de l’équipe de France de natation
synchronisée, qui fait partie du casting original du Rêve.
L’été dernier, j’ai pris quelques jours de vacances pour venir les voir. « Le Rêve » est pour moi
le plus beau spectacle que j’ai jamais vu. J’ai donc sauté le pas dans cette expérience qui impose
beaucoup moins de contraintes physiques que le haut niveau, qui me permet de finir ma carrière
en douceur, de retourner aux sources de ma discipline, de nager, de donner pour le plaisir et ne pas
attendre de notes ou de résultats en retour.
Franco a vendu le spectacle quelques mois après son lancement à Las Vegas à un autre producteur.
Malheureusement, celui ci a essayé de trop changer le spectacle et l’a dénaturé. Un autre directeur
artistique est maintenant en charge de l’évolution du « rêve ».
Franco Dragonne à toujours son nom pour la création. Il vient de temps en temps à Vegas, s’asseoit
dans le public pour regarder nos performances comme tout autre spectateur. Je pense qu’il donne
ses impressions au directeur artistique actuel.
Nous évoluons comme des plongeurs, avec des détendeurs et des blocs qui nous permettent de
respirer sous l’eau, j’ai donc tout d’abord du passer mon niveau de plongée et connaître toutes les
règles de sécurité puis apprendre à évoluer en synchro avec ce nouveau matériel… Coordonner
la respiration avec mes mouvements habituels de synchro, le rêve de toute nageuse : respirer sous
l’eau ! Mais, finalement, ce n’est pas une mince affaire !
Les nageuses évoluent dans 7 actes, j’ai donc du tous les apprendre un par un ainsi qu’à jouer avec
la scène (ronde, en arène, où il n’est pas évident de se repérer). Mon intégration à duré 2 mois : mon
premier spectacle a eu lieux le 3 août et j’étais « full show » le 2 Octobre !
Finalement, j’ai surtout dû apprendre à parler anglais… Non, en fait je suis toujours en
apprentissage !
Oui nous avons ce que nous appelons a l’américaine des « characters ». Une rêveuse principale qui est le fil rouge de l’histoire, puis d’autres personnages qui l’accompagnent sur scène comme un dreamer, un dream prince, dagon, le petit diable, etc…
Le monde du spectacle comprend deux volets : la facilité physique (comparée au haut niveau) mais,
en contre partie, l’investissement émotionnel doit y être maximum. En effet, ce que nous faisons
n’est pas dur physiquement ou techniquement en règle générale mais nous avons à jouer avec une
autre dimension : le public. Nous devenons, en plus d’être des athlètes, des acteurs et ce, 10 fois
par semaine. Il faut savoir s’investir, laisser au vestiaire nos émotions de la journée pour se vêtir de
celles de l’histoire du spectacle. Tout notre corps doit être investit car nous sommes à la fois proche
et loin du public, il faut le faire rêver, l’emporter dans notre monde un peu magique pour qu’il
vivent le spectacle. Leur moment de détente, notre moment de travail !
Mais finalement, exprimer la tristesse et la joie avec ses pieds, c’est ce qu’une nat' synchro en
compétition est sensée faire. C'est ce que faisait Virginie [ Dedieu, triple championne du monde
] à la perfection et c’est certainement pour cela qu’elle était si belle et si forte dans l’eau. En
compétition un ballet dure entre 3 et 4 minutes avec une obligation de performance technique et
donc une dépense énergétique très importante; le défit étant d’obtenir le meilleur résultat possible.
En revanche, un spectacle dure 1h30 avec comme défit de divertir le public, de lui donner du plaisir.
Respirer sous l’eau, ne m’entraîner qu’environ une heure par jour, être payée pour faire ce que j’aime, ne plus mettre de gélatine mais porter des perruques, ne pas être stressée, nager avec des chaussures à talons aux pieds, des collants et des robes, coller à la chorégraphie tout en pouvant y mettre ma touche très personnelle, évoluer en prenant en compte les autres qui ne sont pas forcément dans l’eau avec moi mais dans les air ou sur la scène… Bref, beaucoup de choses!
C’est une autre forme d’épanouissement personnel. Je ne peux pas dire qu’il est plus intense, il
est simplement différent. J’apprends de nouvelles choses, ma technique acquise durant toute ma
carrière en compétition me permet d’essayer de m’exprimer le plus justement possible.
Il existe deux formes de relation aux autres dans ma situation. La première est celle qui existe quand
je suis sur scène : nous devons être a l’écoute des uns des autres, apprendre à ne pas anticiper mais
à réagir en fonction de l’autre même si nous devons coller à la chorégraphie. C’est très intéressant
comme démarche et j’ai beaucoup appris, de ce point de vue, depuis que je suis à Vegas.
L’autre relation aux autres est liée au monde du travail aux USA. Nous autres, artistes, nous avons
a être toujours souriants, de bonne humeur, ouverts, prêts à discuter et à s’intéresser à chacun, à ne
pas se plaindre et faire les choses comme on nous les demande. C’est
très différent du fonctionnement Français. Mais nous n’avons pas le choix de faire autrement car la
sécurité de l’emploi n’existe pas vraiment ici. Si mon attitude ne lui convient pas, mon employeur à
l’entière liberté de me renvoyer à la maison ! Mais c’est très très constructif à titre personnel, même
si je reste Française dans l’âme, je pense que j’ai beaucoup appris de cette façon de vivre.
Ma plus grosse difficulté en venant du monde de la compétition a été d’arriver à pratiquer ma discipline sans but apparent. En effet, on nage, on s’entraîne tout comme avant, mais pas pour partir en compet… Alors pourquoi ? Ça a été la plus délicate question que j’ai été obligée de me poser afin d’arriver à être sur scène tous les soirs en étant investie car il est arrivé un moment après l’euphorie du début où je faisais les choses sans y mettre le cœur, par habitude avec un peu de lassitude… C’est un métier difficile dans le sens où il faut trouver sa propre source de motivation, ce qui fera que les 10 shows dans la semaine seront tous différents, comme si on repartait de zéro chaque soir. C’est une dimension que l’on n’imagine pas quand on va voir un spectacle, on trouve les artistes tellement forts, tellement beaux, tellement investis… Souvent ils font exactement la même chose au compte près tous les soirs et pourtant ils donnent le même plaisir à voir… Ca c’est une performance et ce n’est pas facile à maîtriser.
Non, car je n’imaginais pas cette dimension que je viens d’évoquer. Ces questions que l’on peut se poser (comme souvent) seulement une fois qu’on y est vraiment confronté… Et puis il est inimaginable pour les spectateurs de deviner ce qui se passe en coulisses entre deux actes… Mais ça je ne vous le dévoilerais pas, car je vous laisse rêver et vous devez simplement rester focalisés sur la beauté des performances sur scène. Simplement, nous avons beaucoup de moyens pour faire en sorte que ce métier qui peut paraître si routinier devienne une grande partie de jeu chaque soir !
Mon regard sur la natation synchronisée n’a pas changé même si je pense qu’en s’ouvrant à certains mondes comme celui du spectacle (c'est à dire un monde de professionnels), les nageuses et les entraîneurs auraient beaucoup à apprendre. Le monde de la natation synchronisée est un monde impitoyable dans lequel il ne suffit pas d’être la meilleure pour gagner…
Je pense que ça apporterait dimension surtout émotionnelle. On disait de moi que j’étais très
expressive dans ma façon de nager en compétition. Je ne le suis jamais assez sur scène, pourtant
je ne suis pas contrainte par la difficulté technique. Mais j'apprends à faire parler mon corps plus
que mon visage, ce dont on se sert le plus en compétition. Je dois exprimer des sentiments avec ma
posture, mes gestes, pas avec mon sourire. Ce n’est pas un travail facile pour moi, mais c’est très
grandissant.
Je suis entourée de spécialistes de la mise en scène et du jeu d’acteur, donc j'apprends beaucoup
dans ce domaine. J’aurais aimé avoir cette approche quand je nageais en compétition.
Ensuite nous évoluons dans un monde professionnel. Le rapport entre les personnes est vraiment
différent. Je sais qu’il n’est pas possible de tout rapporter au monde de la compétition qui est avant
tout en France un monde amateur et de loisir pourtant, ce qu’on demande aux nageuses est une
attitude professionnelle. Il y a un « petit » décalage...
Non, c’est certain. J’ai évolué, j’ai mûri… Maintenant savoir exactement ce qui changerait en moi, je n’en sais rien et n’en saurais rien si je ne l’expérimente jamais…